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Après une dizaine d’années d’enquêtes, d’investigations et d’instructions judiciaires, le verdict d’un procès (très) attendu est tombé le lundi 31 mars 2025. C’est en 2014 que, suite à des dénonciations, les Institutions européennes ont soupçonné un parti politique français de détournement à son profit de leurs propres fonds. Les fondements de ces soupçons sont apparus aisément, quasi spontanément, au regard des propos et des comportements des dirigeants de cette organisation à l’encontre de cette structure supranationale : dénigrements systématiques, parfois avec véhémence et depuis des décennies, de son entité et de son fonctionnement ; peu, voire pas, de productions et de participation aux travaux réguliers et normaux des parlementaires ; assiduité plus que volatile aux différentes séances du parlement ; critiques très fréquentes de la surabondance de règles dans de nombreux domaines.

Au terme de la procédure judiciaire de cette affaire, dite des assistants parlementaires au Parlement européen de ce parti politique, le tribunal correctionnel de Paris a prononcé des peines d’une importante sévérité. La grande fermeté de ce jugement est à la mesure de la gravité des faits commis dont le préjudice total est estimé à plus de 4 millions d’euros. Cette somme conséquente correspond à la rémunération d’un certain nombre d’emplois fictifs d’assistants parlementaires : concrètement, il s’agissait de la prise en charge par le Parlement européen de personnes qui travaillaient en réalité pour le parti. 24 personnes physiques ont été condamnées : 9 eurodéputés dont la présidente du parti, 12 assistants parlementaires et 3 cadres du parti (garde du corps, secrétaire, comptable) ; en tant que personne morale, le parti lui-même a été condamné à des sanctions financières. Les condamnations prononcées sont déterminées selon 3 axes : des peines de prison allant de 6 mois à 3 ans généralement avec sursis, des amendes, jusqu’à 100 000 euros pour la présidente, et des durées d’inéligibilité de 1 à 5 ans pour les élus avec exécution provisoire pour certains d’entre eux dont la présidente. Ils ont été reconnus coupables de détournement de fonds publics, parfois de complicité ou de recel de ce délit. Toutefois, le jugement n’a pas fait état d’enrichissement personnel, mais d’un système centralisé de détournement d’argent entre 2004 et 2007 au bénéfice du parti. Ce délit a induit une distorsion d’égalité des différents partis dans la compétition politique, notamment lors des élections.

Lors du procès, tous les prévenus ont nié les faits, parfois jusqu’à l’absurde. La défense s’est constituée d’un seul bloc derrière la présidente qui a contesté catégoriquement ce système de détournement de fonds publics. Pour justifier ce déni de malversation, l’argument majeur allégué a consisté à transmuer ce délit en un désaccord administratif sur la fonction d’un attaché parlementaire. Cette élucubration farfelue a parfois été complétée par une autre tentative de preuve tout aussi maladroite et puérile, plutôt du niveau de la cour de récré : « à cette époque, tout le monde a piqué de l’argent dans la caisse »… Futile dans sa forme et exagérée dans sa généralisation, cette justification s’appuie cependant sur un léger fonds de vérité : un autre parti politique français a aussi subi le même sort pour le même motif avec toutefois une sentence plus clémente, les arguments exprimés pour contrecarrer la mise en examen semblaient plus adaptés et moins agressifs. Par ailleurs, la défense a aussi essayé d’établir l’incompétence de ce tribunal en application de l’immunité juridictionnelle des actes parlementaires, conformément aux principes de séparation des pouvoirs. Ce qui aurait eu pour conséquence d’accréditer, dans l’opinion publique, le concept de justice à géométrie variable, incompatible avec la notion d’égalité de tous devant la loi stipulée dans la constitution française. D’autre part, cette immunité parlementaire qui obéit à une finalité déterminée ne dispense pas les parlementaires du respect des principes de la démocratie ; cette qualité de parlementaire, concourant à l'élaboration de normes s'imposant à tous, l'astreint à une exigence accrue de probité et d'intégrité.

Le parti et la moitié des prévenus condamnés au cours de cette première procédure ont fait appel de la décision rendue à leur égard. Ces deux attitudes contradictoires (acceptation et rejet) des justiciables montrent franchement que ce procès est juridiquement, moralement, honnêtement, voire humainement, indéfendable ; ce qui entraine l’adoption d’une posture jusqu’au-boutiste pour la partie combattante, volontariste, probablement instigatrice des infractions perpétrées. Bizarrement, la possibilité de saisir la cour européenne des droits de l’homme a été évoquée dans l’espoir d’une résolution plus favorable. Le paradoxe de ce projet de sollicitation de cette institution s’illustre parfaitement dans cette vive attaque où elle est caractérisée « d’organe politique extrêmement puissant grisé par son propre pouvoir, exorbitant, sans légitimité démocratique et sans compte à rendre… » 

L’annonce du verdict de ce procès a généré des réactions diverses, tantôt surprenantes, tantôt virulentes, selon les intervenants. Un nombre infime de commentaires a évoqué le motif de la plainte originelle. C’est pourtant ce point de départ, cette raison essentielle, qui permet de comprendre et de donner pleinement son sens à la décision rendue : cette sentence exprimée est la conclusion du procès qui est lui-même consécutif au délit, avec, naturellement, proportionnalité entre la gravité de l’infraction et la sévérité du jugement !  Sur les trois classes de sanctions infligées par le tribunal, seule la peine d’inéligibilité a fait l’objet de remarques abondantes. En particulier, les développements les plus fréquents proviennent du complément circonstanciel de manière qui l’accompagne : l’expression « avec exécution provisoire » a engendré moult lignes et pléthore de paroles. Le monde politique dans son ensemble, tous bords confondus, s’est souvent indigné de l’immédiateté de cette sanction : la caste des élus de la République serait-elle inquiète de la possible perte de ses prérogatives ? serait-elle troublée par un éventuel abandon forcé d’intérêts liés à la fonction ? Car il est peu probable qu’elle soit soudainement éprise de réelle compassion à l’égard d’un tel adversaire politique…

Pour les membres de ce parti, la sidération provoquée par cette mesure s’est manifestée de deux manières complémentaires. En premier lieu, la réaction immédiate a été de se proclamer victime d’une machination diabolique, de vociférer avec outrance à l’instauration d’une conspiration, d’un complot, en occultant volontairement le délit initial, bien réel. Il s’agissait de sauver la face dans un baroud d’honneur tapageur : c’était une ultime défense désespérée et impossible qui se transformait en attaque vile. Ensuite, rapidement, cette indignation de façade s’est complétée par des attaques violentes, notamment à l’encontre de la justice. Des propos choc et mensongers ont circulé dans le but, d'une part, de créer une diversion et d'autre part, de galvaniser l'électorat favorable, parfois fanatisé et prêt à en découdre si besoin. Ces contrevérités (« démocratie française exécutée », « démocratie bafouée », « complot des juges ») auraient pu être perçues comme un appel, une incitation à la vengeance pouvant créer des comportements extrêmes et intolérables, semblables à ceux vécus aux États-Unis quelques mois auparavant… D'ailleurs, des menaces de mort ont été proférées à l'encontre de juges à la suite de l'annonce du jugement, certains d'entre eux étant désormais sous protection policière. Quelques dizaines d'années auparavant, alors qu'elle critiquait, de manière régulière et obsessionnelle, le « système » (les partis de gouvernement successifs), la présidente déclarait volontiers « ma veste, elle est immaculée ». Elle communiquait à l'envi que son parti demeurait « hors du système », donc éloigné des magouilles. A la suite d'une affaire d'enrichissement personnel, elle proposait même de « rendre inéligible à vie ceux qui ont été condamnés pour corruption et fraude fiscale, favoritisme, détournement de fonds publics ». Mais pour l’heure, elle parlait « d’ingérence des magistrats dans le processus électoral suprême (élection présidentielle) » en concluant « voilà le trouble à l’ordre public ». La réutilisation teintée d’une pointe d’ironie de ces propos notifié dans le délibéré du tribunal est une allusion provocatrice et tendancieuse, amplement soulignée par l'emploi de la préposition « voilà ». Ce malicieux plagiat a été extrait de la phrase, délesté de sa justification : « Le tribunal prend en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité, pour des faits de détournements de fonds publics et pourrait l’être par la suite définitivement. »

Cet exemple d'une situation qui entremêle politique et judiciaire permet de souligner deux postures de la gent politique française Premièrement il illustre et de manière limpide comment la soif insatiable du pouvoir génère des comportements irrationnels et malhonnêtes, et en l’occurrence délictueux. Il permet d'assoir, s'il en était besoin, et de consolider la notion d'une certaine constance dans l'attitude des politiciens, pas nécessairement propre à cette organisation : tout est bon pour conquérir et/ou conserver le pouvoir. En ce qui concerne ce parti, le manque de probité est d'autant plus flagrant et insidieux qu'il a bâti ses diverses interventions médiatiques et campagnes électorales sur son intégrité ; les véreux et les corrompus se rencontrent dans les autres camps... Deuxièmement, il corrobore aussi que le déni assumé de faits avérés et légalement condamnables ne peut s'imposer et demeuré impuni dans la démocratie française. Quel que soit l'individu, indépendamment de son statut social, l'état de droit, en application des normes institutionnelles, lui garantit un traitement égalitaire, notamment dans le domaine de la justice. De plus, la séparation des pouvoirs inscrite dans la constitution assure l'équité totale dans les décisions judiciaires, sans favoritisme d'aucun ordre. C'est en vertu de ces principes d'universalisme, d'égalité et d'équité que ce verdict a été prononcé, en toute impartialité et dans l'objectif primordial de protéger la société et les citoyens : quel que soit son niveau, une nuisance doit être condamnée, et avec suffisamment de force, pour que sa réitération éventuelle génère une immense contrainte, voire devienne impossible. Le déni soutenu de ce grave délit a engendré naturellement la présomption de récidive, ce qui a imposé de facto l'inéligibilité de ses instigateurs avec exécution provisoire. En rejetant les motifs indéniables de la mise en cause, et par conséquent les décisions du jugement, les protagonistes de cette affaire ont aussi rejeté les règles et la structure des institutions, de la démocratie. En effet la contestation avec autant de hargne des conclusions du tribunal en qualifiant la procédure de « procès politique » ou en certifiant que « tout serait fait pour empêcher le parti d’arriver au pouvoir » ou encore en regrettant « la tyrannie des juges » véhicule deux états d'esprit négatifs et nocifs : c'est d'une part insulter le travail honnête et sérieux des magistrats ; et, d'autre part, c'est asséner des contrevérités partisanes car le parti peut continuer à jouer son rôle, notamment en diffusant ses thèses et en proposant des candidats aux futures élections. Ces grossières déformations de la teneur des propos attestent parfaitement de la volonté de travestir la réalité, de falsifier les règles des institutions et de corrompre la démocratie. Elles sont les prémisses d'un cheminement hasardeux et risqué vers une dictature moderne, une démocratie illibérale dont la principale doctrine s'oriente vers le centralisme, l'abolition des règles sociales et des libertés individuelles, les rapports de force... Ce type de régime politique devient de plus en plus fréquent sur la planète, en prospérant dans tous les continents, y compris en Europe où s'inaugura la démocratie. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les soutiens étrangers de ce parti et sa présidente dans cette affaire sont des dirigeants de ces autocraties. Cette avancée néfaste pour l'humanité s'installe insidieusement et évolue à pas feutrés par la désinformation habile, l'altération de la vérité et la propagande intensive et orientée. Contrarier cette évolution délétère s'avère une nécessité afin de garantir la qualité de la vie communautaire dans une relative sérénité, une harmonie globale, des relations humaines empreintes de respect et d'altruisme... Aussi, il serait salutaire et encourageant que les citoyens épris de valeurs humanistes mobilisent leur énergie pour demeurer attentif aux potentielles dérives sournoises, tenter d'éveiller les consciences assoupies, mettre en œuvre une résistance tenace et combattre activement si besoin.